PLEURE, Ô PAYS BIEN-AIMÉ
Lorsque je t'ai quitté en 1963 avec mes frères et soeurs (Les Surfs), tu étais un paradis terrestre. Tu as eu un potentiel touristique extraordinaire: climat exceptionnel, paysage de carte postale, faune et flore unique au monde. Le mouvement culturel était à son apogée depuis ton accession à l'indépendance.
De retour au pays en 1966 en tournées artistiques, toujours avec les Surfs, tu vibrais encore dans le bonheur. Les Malagasy baignaient dans un climat d'aisance économique et de sécurité. Tout allait bien. Tu semblais te diriger vers une prospérité formidable, vers une croissance économique sans équivoque. Les Malagasy étaient fiers de leur pays, de leur gouvernement, de leur indépendance.
Puis, tout d'un coup, à partir de 1970, tout a basculé. Les gouvernements se succédaient à un rythme d'enfer: coups d'état, destitutions, empêchement, éléctions prétendues démocratiques, etc... Des événements fâcheux et regrettables qui ont mis depuis un barrage à ton évolution programmée et qui ont donné naissance à la paupérisation de ta population.
En effet, depuis 1997, pendant mes plusieurs périodes de vacances et mes séjours sur ton sol, j'ai pu voir et suivre avec tristesse la dégradation de ton milieu social et l'aggravation de la misère, surtout aux alentours d'Antananarivo. Ce fut le grand choc de mon premier retour aux pays de mes ancêtres. Je ne retrouvais plus le pays que j'avais quitté il y a longtemps à mon adolescence!
Tu es né, tu t'es épanoui et tu t'en es allé à la dérive à cause des dernières années désastreuses des politiques des gouvernements. Pourtant, chacune de tes générations a rêvé d'un pays indépendant, doté d'une économie forte, épris de justice sociale, fier de sa diversité, de son intégrité, de sa solidarité, de ses compétences.
Pour un trop grand nombre de Malagasy, leur rêve est devenu un cauchemar. Ton économie est en déroute. Le chômage atteint plus de trois quart de ta population. Des millions de tes enfants sont dans la pauvreté. Tu possèdes un taux record d'analphabètes. De nombreuses institutions nationales sont ébranlées. Ton tissu social et culturel s'est affaibli. Ton PNB a reculé de beaucoup. Ta surface cultivable a été divisé par trois sinon plus, ton rendement agricole par sept. Chaque année, plusieurs hectares de tes forêts disparaissent. Tu es aujourd'hui au bord du naufrage économique, et ce sont surtout les paysans qui écopent. Pour l'immense majorité de Malagasy, il n'y a pas de lendemain qui chante, seulement l'incertitude du lendemain.
Pour tous les malagasy, pour tous les dirigeants politiques, pour tous les gens d'affaires, pour tous ceux qui tiennent tes rênes économiques, les prochaines années se résument à une question: quel genre de Madagascar voulons-nous?
- Tu devrais être un pays où doit régner l'espoir plutôt que la crainte. Un pays dont tous les malagasy seraient les forces vives plutôt qu'un boulet à traîner. Un pays où les adultes pourraient trouver un travail décent et où les enfants pourraient s'épanouir.
- Tu devrais être un pays qui a des valeurs collectives. Depuis le début de la mondialisation, tu devrais appartenir à une collectivité nationale qui réaffirmerait son originalité. Tes collectivités devraient être les piliers de ta stabilité sociale et ta puissance économique.
- Tu devrais être un pays qui encouragerait l'esprit d'entreprise, qui créerait des richesses et les répartirait équitablement.
- Tu devrais être un pays à la fine pointe du progrès technique et qui pourrait importer la technologie du monde entier.
- Tu devrais être un pays où efficacité et innovation seraient les mots d'ordre des pouvoirs publics, qui coopèreraient entre eux et avec le patronat, les syndicats, les corps enseignants, les écologistes et les bénévoles.
Si un gouvernement "responsable" miserait sur tes atouts et tes possibilités, s'il chercherait des solutions neuves, si, face à ces tâches, il communiquerait ses espoirs et son dynamisme, les Malagasy rétabliraient leur confiance envers les futurs gouvernements. Un pays qui sait surmonter ses difficultés, qui est compétitif, devient plus puissant, plus indépendant. C'est un pays-phare.
Bref, les Malagasy souhaiteraient un pays dont ils seraient fiers, un pays qui leur donnerait foi en l'avenir. Le plan d'action d'un gouvernement "reponsable" aurait pour but de rétablir cette fierté et cette foi.
Mais, hélas, en attendant de trouver ce vrai "gouvernement responsable", tu continues à subir et vivre les aléas politiques et économiques indignes et inefficaces.
Je comprend maintenant pourquoi, depuis plusieurs jours, tu inondes le pays de tes larmes.
Pleure, ô Pays bien-aimé.
Rocky A. Harry Rabaraona (Les Surfs)
Auteur-compositeur-interprète
Écrivain-poète
Montréal le 30 janvier 2020.
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